Quand le sablier bascule…

Quand le sablier bascule…

On naît, on grandit, on développe notre personnalité, on opte pour un plan de vie, on se projette dans le futur et… En fait, on espère trop souvent être déjà à l’étape suivante.

Le temps défile

Ma vie n’avait rien de parfaite, mais j’avais la chance d’avoir un mari que j’aimais profondément ainsi que trois jeunes enfants en pleine santé. Fay 7 ans, Léo 5 ans et Rose 3 ans.

Par choix, j’étais à la maison avec eux afin de leur offrir un environnement stimulant et en accord avec nos valeurs. Évidemment, certains soirs je voulais m’arracher les cheveux de la tête et je me demandais pourquoi je me donnais tant de misère. Je me suis souvent couchée exténuée et même quelques fois en larmes, mais tous les moments magiques que j’avais la chance de partager avec eux me donnaient l’énergie pour poursuivre.

Une fratrie forte et proche. Des éclats de rire. Des échanges. Des liens solides qui se tissaient à chaque jour. Et surtout, l’opportunité d’être aux premières loges pour observer leurs personnalités et leurs aptitudes se définir.

Bien sûr, avec trois enfants d’âges rapprochés, j’ai laissé échapper quelques : « Tititi, je retrouve mes seins après plus de 43 mois d’allaitement! », « Yes, enfin plus de couches après un enchaînement de 67 mois de lavage de couches avec un ou deux enfants en même temps à changer! », « Hourra, les deux plus vieux à l’école et du temps précieux pour ma petite dernière! » et des « On va avoir plus de temps de couple… Ils grandissent! » lorsque j’échangeais avec mon mari Martin ou des copines.

On trippe pour toutes les premières fois, mais à un moment donné la routine s’installe et on a hâte aux prochaines premières fois… Tsé, la première fois que ton enfant réussi à dire maman versus la journée où les trois l’ont prononcé ensemble style 78 fois… Ce n’est pas le même genre d’hormones que ton cerveau sécrète!

On commence alors à réaliser l’ampleur de l’effet de « l’accumulation des années parentales », comme dirait mon amie Jacinthe! Ça ramasse et ça titille une patience. Sans s’en rendre compte, dans le tourbillon du quotidien, on devient moins reconnaissant pour tout ce que nous avons et on remarque d’avantage tout ce qui nous manque… Genre : le sommeil, les sorties de couple, du temps pour soi.

À ce moment là, tout dépendant du déroulement de la journée, on tergiverse entre : « le temps passe trop vite » et « on va être bien dans 3 ou 4 ans ».

La chute

Ça fait mal à écrire, mais c’est malheureusement trop souvent quand tout s’écroule que tu remarques la chance que tu avais.

Le soir du 7 octobre 2016, la vie que je vivais et celle dont je rêvais s’est envolée subitement.

Le cœur de ma grande fille de 7 ans a cessé de battre. À ce moment là, je me suis rendue compte de la fugacité du temps.

En moins de quelques heures, j’ai vu ma fille effondrée sur le trottoir, le transport à l’hôpital, son retour à la conscience, des interrogations dans les yeux du corps médical, ma fille dans un scanner, ma fille vomir et ensuite son cœur s’arrêter.

Comme ça. Sans prévenir.

Ma grande fille, notre grande fille, leur grande sœur…

Ce soir là, j’aurais tout fait pour fixer le temps quelques heures avant, pour partager encore et encore des moments avec elle. Ce soir là, j’aurais voulu être le maître du sablier.

L’écoulement

C’est le contraire qui s’est passé… Les grains de sables glissaient de plus en plus vite et personne ne pouvait les retenir. Personne ne comprenait. Tout nous échappait. Autant le mouvement autour de moi était agité et rapide, autant moi je me sentais prisonnière et incapable d’agir. Prisonnière d’une scène que tout mon être ne pouvait accepter comme réelle. Mes sens n’étaient plus. Je me sentais complètement ailleurs, seule et dépourvue. Je voulais tant me réveiller. Ça ne pouvait être vrai.

Entre-deux

Une force m’a secouée, j’ai sentie que je devais entrer… Traverser le rideau qui nous séparait après que l’équipe médicale ait entamé les procédures de réanimations. Je me suis approchée, j’ai crié, j’ai pleuré et je me suis écoutée. Je suis entrée envers et contre toutes les indications reçues. J’ai vu ton corps, mais ton esprit n’y était plus, j’ai pris ta main et j’ai voulu te ramener. Je voulais réentendre ton cœur battre. Ce premier son qui m’avait tant émue à mon premier rendez-vous de grossesse… mais les heures ayant passées, avec trois tentatives de réanimations, tu n’aurais plus été Fay. Notre Fay. Les derniers grains de sables étaient tombés. Tu étais passée de l’autre côté.

Au fond

C’est ainsi que je me suis retrouvée au fond. Entassée. Je me sentais écrasée et vide à la fois. Après avoir quitté l’hôpital toujours avec un membre de plus à la famille, ce matin là, après une nuit infernale, nous rentrions avec un membre en moins… le sablier venait de faire un 180 degré. Ça n’avait aucun sens! Toutes projections futures me faisaient un mal atroce, car elles impliquaient ton absence. Je ne savais où me placer. Le passé me mettait en larmes, le futur me torturait sans toi et le présent me paraissait inaccessible. Je me suis sentie complètement coincée.

Prise dans ma tête, dans mes souvenirs à me torturer et à me remémorer les scènes en boucle de ton départ. Je cherchais par tous les moyens à comprendre ce qui avait bien pu arriver. Je voulais comprendre. Trouver un sens. Incapable de simplement être. L’instinct de survie m’a amenée à protéger les miens. À m’occuper des autres membres de notre clan. Aider les autres m’aidait à retrouver l’équilibre.

Tic-Tac

Cela fait deux ans et demi que tu nous as quittés. Je me sens encore quelques fois coupable de ne pas toujours avoir pris le temps correctement, d’avoir repoussé des trucs à plus tard, te prenant pour acquis, pensant t’avoir toujours à mes côtés, pensant disposer un jour de ce fameux temps…

Le temps, cette donnée si abstraite pour un enfant… le temps, celui qu’on semble vouloir rattraper… le temps… le temps est devenu pour moi, le moment. Enfin, j’essaie du mieux que je peux. J’essaie de vivre le moment, là, où je suis. Parfois, je me sens essoufflée, car ton départ m’a donnée cette urgence de vivre et j’ai encore peur très souvent de manquer de temps. Je m’ennuie tellement de toi ma grande.

Être descendue au fond, c’est aussi m’avoir permis de m’arrêter et d’aller au fond de moi. Cette épreuve m’a ouvert les yeux sur la fragilité de l’équilibre. Cette épreuve, aussi difficile et cruelle qu’elle a été, me permet d’aimer encore plus. Même si des jours je fonds encore en larmes et que chacune de mes cellules souffre, j’apprends à avoir plus de gratitudes envers ce qui m’entoure et m’enveloppe. Je réapprends à m’émerveiller devant les petites choses de la vie. Tu avais un regard unique qui te permettait de voir le beau partout. Du haut de tes sept ans, tu m’as appris tellement. Ton passage fut trop court, mais je sais que tu veilles sur nous. Nous sommes nous aussi en transformation. Je sens que l’équilibre revient tranquillement…

À suivre…

 

Rédaction : Karine Lizotte

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